Christophe Abramovsky : « Les pingouins ne portent pas de costard » – le 15 mars à 19 heures

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Les maux qu’on dit avec les gestes

Professeur, géographe, ergonome, rugbyman, Christophe Abramovsky a tiré profit de toutes ses expériences de vie. Aujourd’hui comédien, le toulousain est convaincu que le travail peut être autre chose qu’une aliénation. C’est ce qu’il clame sur scène, entre humour et réalisme, dans des conférences ou causeries gesticulées. Rencontre avec un clown facétieux, aux accents philanthropes et philosophes, véritable pourfendeur de la « frénésie libérale ».

D’où vous vient cette propension à voler au secours des injustices et des inégalités, voire à refuser l’ordre établi ?

Christophe Abramovsky : Elle m’a sans conteste été inculquée par mes instits et mes profs plus tard. Ce sont eux qui m’ont fait comprendre, gamin, qu’il y avait des injustices et des inégalités dans le monde. Et moi j’ai voulu les réparer ! Alors j’ai organisé mes études en ce sens et j’ai surtout appris   ne jamais fermé ma gueule !

C’est ce que vous essayez de faire passer comme message dans vos spectacles ?

C. A. : En partie. Lorsque par exemple je parle de « la servitude volontaire »  ou « d’évaluation » pour répondre à des exigences de performance, de rentabilité dans l’entreprise, je dénonce les conséquences terribles que provoque la peur sur les travailleurs. Celle qui t’entraîne à accepter ta condition. Cette peur aussi de ne pas être dans le désir de l’autre (pour reprendre l’approche de Lacan). Or, chacun peut refuser et se dire je peux assumer de ne pas être désiré par l’autre (la hiérarchie, l’organisation du travail). Mais pour cela, on a besoin d’être informé, soutenu, écouté notamment dans des lieux de débat collectif que l’on doit réinventer.

Justement vous affirmez que le travail est un sport collectif. N’avez-vous pas l’impression que votre assertion est anachronique ?

C. A. : Non car je crois que l’individualisme actuel n’est pas conjoncturel. Certes, le collectif est malmené, empêché sciemment, mais l’individualisme dans la société en général est un processus structuré et ça n’est pas quelque chose de naturel ! Donc on peut le contrer. Comme le dit Habermas, l’espace public de discussion, c’est le véritable combat. Oui ce gouvernement (et les précédents) ont élaboré, de façon remarquable d’ailleurs, la synthèse du libéralisme moderne, en réussissant à briser les collectifs. L’exemple de la disparition des CHSCT, les DP, les CE, en est significatif (et son remplacement par les CSE). Il y a de moins en moins d’endroit dédié l’éducation populaire. Et finalement seule la CGT oeuvre pour « regagner » du terrain. Mais attention à ne pas se fourvoyer. À mon avis, le piège pour le mouvement syndical serait de se limiter à la lutte pour les salaires et l’emploi exclusivement. Cette feuille de route a besoin d’être revue afin de se poser la question du sens du travail et de sa signification aujourd’hui. C’est ce que je mets en exergue dans mes spectacles et ce que je constate à la fin aussi lorsqu’on échange autour d’ateliers.

Selon vous et vos propres termes, pourquoi le travail est-il devenu un mal social ?

C. A. : Ce marasme est sans conteste mettre au crédit du capitalisme qui arrive d’ailleurs   son apogée. Et en général, après le paroxysme, il y a une redescente ou une chute derrière. On peut y voir un espoir. Mais plus sérieusement, seule une reprise en main de l’état, et pas forcément un étatisme, peut nous permettre d’en sortir. Le monde du travail souffre des injonctions de rentabilité totalement déconnectées et décalées du terrain, de ce système d’actionnariat et de cette économie essentiellement basée sur la finance et de ses corollaires.: les entraves permanentes que l’on fait au monde syndical, sans oublier que certains sont devenus des alliés du patronat… Les lois qui sclérosent complètement la simple liberté de débattre ou de se mouvoir. Depuis des années, les libertés que l’on donne aux entreprises sont celles que l’on enlève au monde ouvrier, aux salariés, au monde du travail et à la société étouffée par un modèle économique dominant. Mais attention, l’économie est une science sociale et non pas une science pure… C’est une déclinaison de la sociologie que l’on peut donc remettre en question, puisque ce n’est pas une vérité absolue !

C’est en ce sens que vous arrivez finalement être encore optimiste et galvaniser le public comme vous le faites ?

C. A. : Moi je suis un adepte des thèses de Bernard Friot et donc du salaire   vie… C’est ce qu’il dit en quelque sorte. On n’a pas besoin d’avoir une carotte pour avancer ! Quand on fait les choses on ne les fait pas par intérêt mais bien par utilité. Et en étant dégagé de toute contingence matérielle, nous avons, de toute façon, besoin de vivre en société. Vivre avec les autres, c’est je pense le but de tout un chacun. Je partage donc le point de vue de Friot qui est persuadé que sans ce besoin matériel, les gens iraient tout de même travailler. Et là on pourrait alors structurer une société sur une autre base et sur d’autres valeurs. De toute fa on, il est rare qu’un salarié, un travailleur se dise aujourd’hui je vais volontairement « faire de la merde » (à part pour foutre le bordel sous forme d’action politique ou syndicale) Mais globalement, chacun essaie de bien faire son job, non ?

Dans vos conférences, vous insistez sur le fait de se réapproprier les mots face au nouveau vocabulaire du travail qui a tendance à abuser d’euphémisme, voire de sournoiserie sémantique?

C. A. : Oui, je rappelle que les mots sont des armes. Or, on nous les a volés ! On les a galvaudés volontairement. Juste deux exemples : aujourd’hui un plan de licenciement s’appelle un plan de sauvegarde de l’emploi. La souffrance psychique au travail s’est transformée en risques psychosociaux… Or ces nuances ne sont bien évidemment pas anodines. Car la souffrance oblige l’entreprise, le patronat ou la hiérarchie à une certaine remise en cause et à faire l’effort de rechercher les causes de cette souffrance. Alors qu’en employant le mot risque, on évoque simplement la probabilité… De même que le terme « psychosociaux » que je propose, à mon tour, de modifier. Dans un mot composé, c’est toujours le premier qui indique un rapport de causalité. Là dans ce cas, ce serait donc la psychologie des travailleurs qui serait défaillante et entraînerait ce malêtre social. Aussi, je propose de parler de troubles socio-psychiques ! Ainsi, la cause du phénomène devient alors organisationnelle et non plus individuelle.

C’est toutes ces  » réflexions  » et  » rigolo-cogitations  » que vous allez susciter à Clermont-Ferrand, lors du congrès de la FNME-CGT ?

C. A. : Je vais proposer la causerie gesticulée qui est plus courte que la conférence, en termes de temps. Ça parlera de management, de profils psychologiques, à travers des faits réels, d’injonction paradoxale et de l’histoire de la valeur travail, depuis homo habilis, en passant par le jardin d’Eden, la chrétienté pour finir sur un philosophe contemporain (rires) qui explique que pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue. Je m’amuse de ça. Le but c’est bien de rapprocher les êtres sur des expériences de vie communes. De se poser et de réfléchir à ces événements particuliers qui font basculer les choses. Cette causerie, qui n’est pas une fin en soi, est en quelque sorte un atterrissage politique, et peut-être le point de départ d’une mobilisation.

Propos recueillis par Stéphane Alesi

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